Dans cet entretien, le président du comité scientifique de l'Association marocaine des hémophiles et responsable du programme national de l’hémophilie au niveau du ministère de la Santé et de la Protection sociale, Pr Mohamed El Khorassani, répond à cinq questions de la MAP sur l’hémophilie, ses symptômes, ses risques, son incidence et la prise en charge des patients au Maroc et livre des conseils pratiques pour mieux vivre avec la maladie.
Qu’est-ce que l’hémophilie ? Et comment se manifeste-t-elle ?
L’hémophilie est une maladie dite hémorragique héréditaire ou hémorragique constitutionnelle qui est liée à un manque de protéines, quand on ne fabrique pas deux protéines appelées facteur VIII et facteur IX. On parle donc de "l’hémophilie A" en cas de manque de facteur VIII et de l’hémophilie B quand c’est le facteur IX qui manque.
Ce sont ces protéines, avec d'autres protéines dans le sang, qui sont responsables de sa coagulation. Autrement dit, pour tout individu, en cas de blessure, le saignement s’arrête au bout de 2 à 3 minutes grâce à ces facteurs. En revanche, comme il leur manque ces protéines, le sang ne s’arrête pas rapidement pour les personnes atteintes d’hémophilie.
Il s’agit d’une maladie qui touche pratiquement les garçons, tandis que les filles sont appelées uniquement porteuses de la maladie et la transmettent à leurs enfants.
La différence entre les deux types est relative à la protéine qui manque et à la fréquence. L’hémophilie A est la plus fréquente et représente 80% des cas d’hémophilie contre 20% des hémophiles B. Les deux types se transmettent de la même manière, présentent les mêmes symptômes et nécessitent le même traitement sauf que le premier cas est traité par la molécule facteur VIII et le deuxième par la molécule facteur IX.
Disposez-vous de chiffres sur l’hémophilie et la prise en charge des patients au Maroc ?
D'une manière générale, il s’agit d’une fréquence d’un cas sur 10.000 habitants, donc théoriquement il devrait y avoir une incidence de 4.000 hémophiles au Maroc. Mais selon les statistiques, il existe 1.200 hémophiles qui sont diagnostiqués dans le pays.
Le traitement s’appelle "concentrés de facteurs", il s’agit de produits qui manquent dans le sang, des molécules qu'on appelle "molécules facteur VIII" ou "molécules facteurs IX" et qui sont disponibles au Maroc. Aujourd'hui ils sont pris en charge dans le cadre de la sécurité sociale et disponibles aussi bien dans les hôpitaux universitaires que dans les hôpitaux régionaux, et ce dans le cadre d'un programme qu'on a mis en place avec le ministère de la Santé.
Il ne faut pas attendre qu'un patient saigne pour lui donner le traitement. Un protocole de traitement est nécessaire, où le patient reçoit le traitement par intraveineuse une ou deux fois par semaine, à l’hôpital comme chez lui s’il est capable de s’injecter lui-même ou à l’aide de quelqu’un d’autre.
Néanmoins, les quantités de traitement au Maroc ne couvrent pas toute la population hémophile en raison de son coût élevé mais les produits qui sont disponibles à l'hôpital sont donnés gratuitement. C'est vrai qu'on ne couvre pas tous les patients parce que les produits sont excessivement chers mais actuellement davantage de patients ont accès au traitement par rapport aux années antérieures.
Existe-t-il des risques que pourrait courir une personne atteinte d'hémophilie en cas d'absence de traitement ?
Le risque est toujours présent, avec ou sans traitement, car une personne hémophile est sujet à des accidents et peut faire une hémorragie très grave, le saignement s’avère donc plus dangereux en cas d’indisponibilité de médicaments.
Le problème se pose surtout chez les personnes qui ignorent être atteintes de la maladie car elles peuvent faire une grave hémorragie sans savoir que c’est dû à leur hémophilie.
Le risque de mortalité reste exceptionnel et se sont les séquelles qui constituent le véritable souci, étant donné que les hémophiles sont également susceptibles d’avoir des saignements au niveau du cerveau et subir donc des séquelles cérébrales comme l’infirmité motrice ou à l’intérieur de leurs articulations, et si la personne n’avait pas reçu un traitement d’une manière préventive ou ne le prend pas immédiatement, le sang qui s’accumule au niveau des articulations va causer des lésions articulaires qui seraient à l’origine d’un handicap.
Quels sont vos conseils pour aider les personnes atteintes d'hémophilie à mieux vivre avec la maladie ?
Il est indispensable de suivre les consultations régulièrement chez le médecin spécialiste, d’avoir une bonne hygiène de vie, d’éviter les blessures et les saignements et de faire son injection immédiatement dès qu’une douleur se manifeste.
Je voudrais aussi adresser un message important aux praticiens qui devraient demander un bilan lorsqu’ils suspectent ou remarquent la présence de blessures ou de bleus inhabituels chez un enfant.
Dans ce cadre, les circoncisions qui se font de manière traditionnelle et non médicalisée peuvent entraîner une hémorragie chez l’enfant ou le bébé hémophile, en l’absence de bilan préalable et de surveillance.
Est-il possible de guérir de l’hémophilie ?
Oui, il est désormais possible grâce aux avancées thérapeutiques en matière de génie génétique, surtout pour l’hémophilie B, et les études cliniques ont déjà commencé à donner des résultats. Par conséquent, on peut proposer de la thérapie génique pour cette maladie.
On est dans la troisième phase des études cliniques au cours de laquelle le traitement est testé chez les patients hémophiles, les résultats sont très prometteurs et les gènes commencent à fabriquer le facteur IX chez ces patients, dans l’attente de la quatrième phase où le traitement sera disponible pour les patients d’une manière générale, dans trois ou quatre ans.
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