Azza filali, Médecin, romancière et philosophe

Azza filali, Médecin, romancière et philosophe
Source : Map
08/03/2022 18:30

Etre professeur hospitalo-universitaire au CHU de la Rabta de Tunis ne l’a pas empêché d’être témoin de son temps. En dépit de ses pointilleuses responsabilités médicales, Azza Filali a réussi la gageure de prêter une attention particulière aux questions brulantes que vit la société en général et la femme tunisienne en particulier.

Romancière, Azza Filali, qui a écrit une dizaine de livres, a prouvé via son parcours atypique, la parfaite compatibilité qui existe entre exigences professionnelles et une passion dévorante d’écriture et d’analyse des bouleversements et des dysfonctionnements que la Tunisie connaît depuis quelque temps.

Une écrivaine prolixe, une essayiste avertie et un médecin confirmée, c’est ce qui peut résumer le mieux le parcours d’Azza Filali.

Diplômée en 2009 de philosophie de l’université Paris I, médecin, professeur de Gastro-entérologie, elle est l’un des auteurs d’expression française importants de la Tunisie actuelle. Cette native de Tunis de 1952 fait partie des personnalités les plus célèbres du pays dans le domaine des lettres et sciences.

Elle a commencé son aventure depuis 1991, réussissant à publier une dizaine d’ouvrages, romans, essais et nouvelles en français. Son premier livre "Le Voyageur immobile" (1991) était un essai sur la pratique médicale. Ont suivi "Le Jardin écarlate" en 1996, "Monsieur L", "Les Vallées de lumière", "Vingt ans pour plus tard", "L’heure du cru" (2009) qui a reçu le Prix spécial du jury Comar 2010.

La révolution de 2011 ne l’a pas laissée insensible. Sa production traduit un sentiment mitigé tantôt d’espoir, tantôt de malaise et de déception.

Dans ses romans "les Intranquilles" février 2011 et "Ouatann 2012", elle pose un regard singulier sur la Tunisie avant et après la révolution, une société tunisienne bouleversée, une Tunisie à la croisée des chemins.

La révolution, justement, l'a "surprise par la rapidité des évènements. Le 14 janvier 2011, c’était comme si le pays avait retrouvé son adolescence. On sentait la saveur des débuts, comme quand on commence une histoire d’amour, en l’occurrence avec son pays".

L’auteure se rend vite à la triste réalité pour évoquer l'après-révolution avec son lot de chasse aux sorcières, "les anciennes victimes deviennent les donneurs d'ordre, les règlements de compte prolifèrent tout comme la corruption", dit-elle.

Dix ans après, le pays ne semble pas retrouver ses repères. Pour elle, "la société tunisienne est plus malade qu’elle ne l’a jamais été". Elle soutient que le 14 janvier 2011 n’a libéré que la parole.

"Pas d’actes, pas d’implication de la jeunesse dans la conduite de l’Etat, ni de réformes dans les structures du pays".

Fidèle à son approche des choses, Azza Filali s’intéresse au changement dans le paysage social. "J'essaye d'approcher ces êtres apparus dans mon pays (...) J’y perçois beaucoup de dénuement, à la fois moral et matériel, et une grande colère face à la crise, au chômage, aux années perdues. Pour eux, la religion a été le recours le plus facile. Celle-ci leur ouvre les bras. Et les mafieux de la foi sont là pour leur indiquer quoi faire, comment vivre".

L’auteure ne porte pas dans son cœur les islamistes d’Ennahdha. "Nos islamistes accumulent les déboires (…) A chaque défaite, leur chef crie à la - fête démocratique-".

"En somme, la démocratie est, pour Ennahdha, la roue de secours à brandir quand rien ne va plus : curieuse idée qu’ils ont de la démocratie !", s'étonne-t-elle.

La pandémie du COVID-19 l’a poussé à faire des jugements parfois sévères sur le système de santé. Le Covid a démasqué la précarité des systèmes de santé à travers le monde. Cela concerne aussi bien les pays riches que les autres. En Tunisie, les hôpitaux publics, délabrés depuis des décennies, manquant d’infrastructures et de matériel, se trouvent en première ligne pour affronter le Covid-19.

Elle pense que "malgré la grande expertise du corps médical, le manque de lits de réanimation, de matériel consommable indispensable, la nécessité de s’en procurer dans un monde qui ferme ses portes, tout cela altère la qualité des soins en cette période de crise".

Le grand changement intervenu le 25 juillet 2021, avec l’activation de l’article 81 de la Constitution et l’entrée en vigueur des mesures exceptionnelles, l’observe avec un œil critique.

"L’Etat Tunisien, soutient-elle, vacille : institutions publiques, structures d’enseignement, de soins, et autres… Tout cela se désagrège. Fragilisé, voire mis à terre par des années de mauvaise gestion, criblé de dettes, non protégé par ceux qui étaient censés le faire".

Malgré son optimisme à toute épreuve, pour Azza filali, le rideau ne semble pas pouvoir encore vouloir se lever.

Avec les soubresauts de mutations rapides et imprévisibles qui continuent de secouer aussi bien le pays que le monde, son dernier roman "Le rideau" publié en 2019, traduit un certain malaise qui habite l’auteure.

Pour Azza filali, le monde chavire : chaque jour des murailles s’élèvent, transformant les pays en contrées retranchées et hostiles.

A travers les trajectoires croisées de ses personnages, elle trace un portrait saisissant "d’une planète où les frontières font loi, où les pays se cadenassent, tandis que migrants et réfugiés, relégués derrière un invisible rideau, cheminent sur les bas-côtés de l’existence".

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