Pour M. Vinicius de Freitas, Senior Fellow au think thank Policy Center for the New South (PCNS), le prochain gouvernement va devoir faire face à une situation complexe pour ne pas dire hostile, sachant que le Parlement ne sera pas forcément acquis au gouvernement, sans parler de presque la moitié de l’électorat qui a voté pour le président sortant, Jair Bolsonaro (droite).
Le professeur invité à la China Foreign Affairs University estime que le retour au pouvoir marquera aussi des changements - bien que plus modérés que dans d’autres pays de la région gouvernés par la gauche – aux niveaux national et international.
Le Brésil s'apprête à investir officiellement le président élu au milieu d'une polarisation politique sans précédent. Quels sont les principaux défis auxquels devra faire face le prochain gouvernement ?
Vinicius de Freitas : Le président élu assumera la direction de l'État et du gouvernement à un moment très polarisé dans le pays. (Jair) Bolsonaro a créé une aura d'illégitimité du processus électoral brésilien, tout en discréditant les juges de la Cour suprême fédérale et en jugeant leurs décisions favorables au président élu, du fait que la plupart d’entre eux avait été nommée sous les anciens mandats de Lula et de Dilma (Roussef, également du Parti des travailleurs).
De plus, l'équipe ministérielle nommée par le président élu comprend des noms qui étaient auparavant au pouvoir et étaient critiqués pour leurs démêlés avec la justice. Il règne donc une atmosphère de revanchisme, qui laisse Lula confronté au défi majeur de rassembler les Brésiliens.
Lula sera probablement en mesure de contrôler le Congrès, bien qu’il est majoritairement marqué à droite et au centre, dans une partie d’échec où se mêleront intérêts politiques et ententes avec le pouvoir judiciaire.
Au milieu de tout cela, le Brésil vit un exercice démocratique pénible qui met à l’épreuve le principe de séparation des pouvoirs, de contrôle de l’Exécutif et les équilibres entre les différents acteurs.
L’image de Lula au plan national sera aussi un défi de taille pour le prochain gouvernement. Si au niveau international Lula jouit d’une réputation assez positive puisqu’il est perçu comme protecteur de l'Amazonie et promoteur du dialogue et de la coopération avec les pays du sud, au plan interne le prochain président se retrouvera dans une confrontation constante avec diverses organisations sociales dont le mécontentement, semble-t-il, se poursuivra au-delà de dimanche prochain.
L’autre défi complexe est à caractère économique. Le monde connaît une inflation élevée, les principales économies occidentales sont confrontées à des problèmes de coût élevé de l'énergie et la Chine, principal moteur de l'économie brésilienne, fait face à des problèmes internes qui ralentissent sa croissance.
En résumé, Lula va devoir apporter des réponses qui s’imposent avec acuité : une scène politique polarisée, au Congrès comme au sein de la société ; une situation économique mondial difficile en raison de la récession, de l'inflation et des coûts énergétiques ; et l'impossibilité de poursuivre l'expansion du marché intérieur face aux externalités qui affectent les acheteurs de produits brésiliens.
Tout cela pourrait générer une instabilité au sein du gouvernement, qui durera les deux premières années de son mandat.
Compte tenu de la situation nationale et internationale actuelle que vous avez évoquée, pensez-vous que le président élu sera en mesure de mettre en œuvre les engagements ambitieux qu’il a pris durant la campagne électorale ?
Vinicius de Freitas : Lula devrait revenir sur la politique environnementale, comme une manière de se distinguer de l'actuel président. Dans d'autres domaines, Lula pourrait reprendre la revendication d'un siège permanent du Brésil au Conseil de sécurité des Nations Unies.
Il est probable qu'elle adoptera la reprise d'un discours de plus grande intégration des pays du Sud, mais il devra faire face à la résistance qui s’opérera sans nul doute dans les années à venir et du changement politique sur le continent sud-américain. Ces dernières années, en raison de la pandémie, il y a eu un changement dans la configuration politique de la région, avec une gauche montante, mais, comme les gouvernements élus n'ont pas obtenu de résultats positifs et écrasants, il y a une possibilité de changement dans plusieurs gouvernements.
Lula nourrit certes l’ambition de voir le Brésil assumer un plus grand rôle mondial, mais cela dépendra des circonstances nationales qui peuvent le priver de possibilités d'un plus grand rayonnement mondial.
La lutte contre le changement climatique était un enjeu majeur du Brésil dans ses relations avec la communauté internationale. Pensez-vous que le retour au pouvoir de Lula pourrait changer la donne ?
Vinicius de Freitas : Historiquement, le Brésil a été un pays qui fonctionne en dessous de ses possibilités et de ses attentes. Qualifié de pays peu actif au plan diplomatique, le Brésil doit trouver des lignes directrices dans lesquelles il promeut un message clair pour le monde. L'appartenance du Brésil aux BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) donne au pays une plus grande projection internationale, ce qui le distingue des autres pays émergents.
Depuis Rio-92 (Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement), le Brésil s'est distingué en matière environnementale. Le pays, qui dispose d'une matrice d'énergie propre, possède également la plus grande forêt du monde et l'un des plus grands parcs écologiques du monde, avec une énorme diversité de flore et de faune, qui reste encore inexplorée. C'est sur la question du changement climatique et de la préservation de la biodiversité que le Brésil peut contribuer le plus intensément au dialogue mondial.
Le Brésil est également pertinent dans la relation avec l'Afrique. Le Brésil est le plus grand pays africain en dehors du continent africain, avec des liens historiques qui devraient favoriser une relation plus profonde et plus fructueuse, non seulement sur le plan politique, mais surtout à travers des liens plus profonds sur le plan économique.
La plupart des pays d'Amérique du Sud sont désormais gouvernés par la gauche. Quel en sera l'impact sur l'intégration régionale et les relations internationales ?
Vinicius de Freitas : Ce n'est pas la première fois que la gauche domine la scène politique en Amérique latine. Déjà dans le passé, il y avait une vague (de la gauche), qui gouvernait dans la région. Les résultats étriqués des élections, la question de la corruption et les énormes échecs administratifs dans certains pays, conduisaient néanmoins à des alternances avec la droite. Il faut dire que des aléas comme la pandémie de covid-19 ont favorisé une nouvelle vague de gauche qui s'est emparée des gouvernements des pays de la région.
Toutefois, ce qui se passe au Pérou par exemple laissent présager un revirement possible dans la région. C'est pour cette raison qu'il est important d'observer l'évolution politique de la région dans les mois à venir pour voir si le renversement de cette vague gauchiste est une tendance plausible.
Les gouvernements de gauche de la région ont tenté de promouvoir un processus de rapprochement économique et politique, mais sans succès. Des entités comme l'UNASUR (Union des nations sud-américaines), proclamées et annoncées aux quatre vents lors de la première Vague rose, n'ont pas réalisé de grandes avancées, faute de format institutionnel qui garantirait une plus grande efficacité.
En poursuivant votre navigation sur notre site internet, vous acceptez que des cookies soient placés sur votre terminal. Ces cookies sont utilisés pour faciliter votre navigation, vous proposer des offres adaptées et permettre l'élaboration de statistiques. Pour obtenir plus d'informations sur les cookies, vous pouvez consulter notre Notice légale
Restez informé. Acceptez-vous de recevoir nos notifications ?